Au cœur des terres orientales du Maroc, une révolution scientifique silencieuse prend forme. Dans la région de Tendrara–Missour, réputée pour ses gisements gaziers prometteurs, des chercheurs marocains ont mis au point une méthode innovante pour décrypter la complexité du sous-sol. Leur arme secrète : l’intelligence artificielle.
Face à l’absence de carottes géologiques – des échantillons de roche souvent coûteux à extraire – l’équipe a recours à des techniques de pointe issues de l’apprentissage automatique. Leur objectif : identifier et modéliser les différentes couches lithologiques du sous-sol sans recourir aux méthodes classiques d’exploration.
Sous la direction de Youssef El Bouazzaoui, chercheur à l’Université Mohammed Premier d’Oujda, ce projet ambitieux a rassemblé plusieurs institutions scientifiques marocaines et a bénéficié de l’appui logistique de la société Sound Energy, active dans la région. L’étude vient d’être publiée dans une revue internationale de renom, le Journal of African Earth Sciences.
Trois modèles d’intelligence artificielle ont été testés pour cette mission souterraine : une forêt aléatoire, un réseau de neurones multicouche et une méthode de classification par regroupement. Alimentés par des données de diagraphies (des mesures physiques réalisées en forage comme la densité, les ondes acoustiques ou les rayons gamma), ces algorithmes ont tenté de prédire avec précision la nature des roches jusqu’à plus de 400 mètres de profondeur.
Les résultats sont prometteurs : le réseau de neurones s’est distingué par une performance de 87 % en termes de précision. Il a notamment su différencier des formations géologiques aux signatures très proches, comme le grès conglomératique et le conglomérat durci, là où les autres modèles peinaient à faire la distinction.
L’étude a permis d’identifier quatre principaux types de roches dans la formation de Tajji, parmi lesquelles le grès, le conglomérat et une forme hybride d’argilite et de silt. Plus intéressant encore, les modèles ont révélé une variabilité marquée des couches rocheuses entre des puits pourtant voisins – une indication précieuse sur l’histoire géologique mouvementée de cette région, jadis parcourue par de puissants cours d’eau.
Cette avancée ouvre des perspectives inédites pour l’industrie pétrolière et gazière marocaine. En remplaçant partiellement les techniques invasives et coûteuses par des approches numériques, les scientifiques offrent aux opérateurs une feuille de route plus efficiente pour leurs futures campagnes de forage.
Les auteurs de l’étude suggèrent d’aller plus loin encore : combiner ces algorithmes aux données sismiques afin de produire des modélisations en trois dimensions du sous-sol marocain. Une telle démarche pourrait transformer la cartographie des ressources énergétiques nationales, à l’heure où le Maroc redouble d’efforts pour sécuriser son indépendance énergétique.
Entre tradition géologique et modernité numérique, le sous-sol marocain devient peu à peu un terrain d’expérimentation pour les technologies du futur. Une dynamique qui pourrait bien repositionner le Royaume comme un acteur stratégique de l’exploration énergétique en Afrique du Nord.