Dans les sous-sols numériques du Dark Web, un phénomène inattendu s’installe : l’émergence d’un véritable marché du travail, structuré, actif et dominé par une génération à peine entrée dans l’âge adulte. Au fil des trimestres, le volume de CV transmis sur les forums clandestins ne cesse d’augmenter, jusqu’à dépasser les offres publiées. Le recrutement, lui, s’organise selon des codes proches de ceux du monde légal, mais avec une brutalité qui révèle la pression économique pesant sur les jeunes et les travailleurs récemment licenciés.
Les données compilées par Kaspersky montrent que les candidatures circulant dans ces espaces se sont multipliées en un an avant de se stabiliser à un niveau inédit en 2025. Plus de la moitié des profils figurant sur ces plateformes proviennent de personnes prêtes à accepter n’importe quel type de mission rémunérée : programmation, opérations d’ingénierie illicite, participation à des escroqueries, ou tâches numériques à faible qualification. L’âge médian, autour de 24 ans, témoigne d’un basculement générationnel déjà préoccupant par la présence de nombreux mineurs attirés par des gains rapides.
Cet afflux se confronte à une demande employeur qui, elle aussi, s’est professionnalisée. Les groupes criminels recrutent désormais comme de véritables organisations techniques. Les développeurs restent les profils les plus recherchés, chargés de concevoir les outils offensifs. Les pentesters indépendants sont sollicités pour identifier des failles exploitables. Viennent ensuite les rôles logistiques essentiels à l’écosystème : blanchisseurs d’argent, carders spécialisés dans la monétisation de données bancaires, ou traffers chargés d’orienter les victimes vers des pages frauduleuses. L’ensemble forme une chaîne opératoire cohérente, où l’efficacité technique prime sur les parcours académiques.
Les différences de genre observées dans les candidatures renforcent l’idée d’un marché parallèle reproduisant les biais du monde légal. Les profils féminins s’orientent davantage vers des activités impliquant des interactions humaines – assistance, support client, tâches de gestion – tandis que les hommes s’engagent majoritairement dans des missions techniques ou liées à la fraude financière. Les écarts salariaux suivent la même logique. Les ingénieurs en rétro-ingénierie dominent la grille de rémunération, dépassant les 5 000 dollars par mois, suivis des pentesters et développeurs. Les fraudeurs, eux, fonctionnent sur une base de commissions pouvant atteindre 50 % des revenus pour les traffers les plus performants.
Les témoignages recueillis par Kaspersky rappellent que cette économie parallèle n’a rien d’un environnement neutre. Beaucoup de candidats pensent retrouver sur le Dark Web des opportunités similaires au marché classique, débarrassées des filtres RH, des entretiens interminables et des critères académiques. Ils y trouvent en effet des processus rapides : des réponses en 24 ou 48 heures, des tests pratiques, et une rémunération immédiate. Mais la réalité est autrement plus sombre : l’exposition aux réseaux criminels, la possibilité d’être impliqué dans des opérations à haut risque et, surtout, les conséquences pénales irréversibles qui attendent les candidats une fois identifiés.
Cette situation pose un défi sociétal majeur. Les mineurs se retrouvent de plus en plus exposés à des promesses financières ou à des sollicitations directes sur des messageries comme Telegram. Les experts appellent les familles, les enseignants et les encadrants à signaler toute approche suspecte et à montrer aux jeunes l’existence de voies légitimes pour développer leurs compétences techniques, notamment dans la cybersécurité. Kaspersky, de son côté, multiplie les initiatives de sensibilisation, dont un programme dédié à la réorientation des adolescents attirés par les activités de piratage.
Pour les organisations, la menace est double : la présence de candidats ayant travaillé sur des opérations illicites et la possibilité que leurs propres données se retrouvent en circulation sur ces forums. Entre surveillance du Dark Web, détection des identifiants exposés, formation des équipes RH et renforcement de leurs dispositifs anti-fraude, les entreprises sont désormais contraintes d’intégrer ce marché clandestin dans leur stratégie de sécurité.
Le paysage qui se dessine est celui d’un marché du travail parallèle arrivé à maturité, nourri par la précarité, la jeunesse et la technicité croissante des opérations cybercriminelles. Une réalité qui rappelle que la maîtrise des compétences numériques, lorsqu’elle s’exerce en dehors des cadres légaux, peut rapidement devenir un piège pour ceux qui espéraient simplement améliorer leur avenir.


















































