En annonçant son partenariat stratégique avec le conglomérat marocain H&S Invest Holding, le distributeur français Casino ne se contente pas d’étendre son empreinte géographique. Il redéfinit sa stratégie internationale à travers un prisme où le local s’invite au cœur du global. Avec 210 magasins Franprix et Monoprix à ouvrir au Maroc d’ici 2035, l’opération témoigne d’un double pari : celui de la franchise comme levier de croissance, et du Maroc comme nouvel épicentre de la consommation moderne en Afrique du Nord.
Un partenariat aux ramifications économiques multiples
Le choix du partenaire marocain n’est pas anodin. H&S Invest Holding, dirigé par Moncef Belkhayat, ex-ministre et homme d’affaires influent, dispose déjà d’une solide implantation dans des secteurs liés à la « vie quotidienne » — santé, bien-être, distribution. L’association avec le groupe Casino se veut donc une alliance entre savoir-faire international et connaissance du terrain local. À en croire les déclarations croisées des deux parties, plus de 1.000 emplois directs et indirects pourraient être créés d’ici 2030, dans un contexte national où l’emploi des jeunes demeure un enjeu crucial.
Mais derrière ces chiffres se cache une transformation plus large. En investissant dans le retail moderne et en favorisant les enseignes de proximité, ce partenariat pourrait accélérer l’évolution du paysage commercial marocain. L’essor des enseignes Franprix et Monoprix pourrait faire pression sur les commerces traditionnels, appelés à s’adapter ou à disparaître, comme cela a été observé dans d’autres marchés émergents.
Le Maroc, nouvelle vitrine de la stratégie « franchise » de Casino
Longtemps centré sur la France et ses territoires d’outre-mer, le groupe Casino — aujourd’hui sous le contrôle du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky — cherche à diversifier ses sources de revenus. En 2024, seuls 3,5 % de son chiffre d’affaires provenaient de ses franchises à l’international. C’est dire l’ambition de ce nouveau cycle stratégique, qui mise sur des implantations en dehors des sentiers battus.
Le choix du Maroc est révélateur d’un basculement. Situé à la croisée de l’Europe et de l’Afrique subsaharienne, le royaume bénéficie d’une classe moyenne en expansion, d’une stabilité politique relative et d’une urbanisation rapide. Ce sont autant de facteurs qui favorisent l’implantation d’un retail moderne, structuré et multicanal. Les grandes surfaces traditionnelles y côtoient déjà des initiatives digitales — à l’image de la marketplace Marjanemall, qui a récemment pris de l’ampleur.
Vers une mutation du mode de consommation marocain
Au-delà de l’investissement, cette opération soulève une question plus profonde : quelle place pour le consommateur marocain dans cette reconfiguration du marché ? Si les enseignes Franprix et Monoprix promettent qualité, proximité et modernité, elles devront aussi composer avec des habitudes d’achat encore très liées aux marchés traditionnels, aux souks et aux épiceries de quartier.
« L’évolution des modes de consommation passe par une offre adaptée mais aussi par un accompagnement éducatif du consommateur », confie un expert en marketing basé à Rabat. Selon lui, les enseignes devront aussi intégrer les codes culturels locaux — y compris en matière de communication, de produits halal, de prix accessibles ou encore de circuits courts.
Un levier de transformation socio-culturelle
Cette expansion de la grande distribution internationale pourrait, si elle est bien orchestrée, devenir un moteur de transformation socio-culturelle. En injectant des standards internationaux, en professionnalisant les chaînes d’approvisionnement, et en structurant le secteur informel, le projet Casino-H&S Invest pourrait participer à la modernisation économique du Maroc. Mais il pourrait également creuser les inégalités entre zones urbaines et rurales, et entre populations aisées et défavorisées.
Le retail devient ici bien plus qu’un enjeu commercial : il est au cœur d’une mutation où se croisent emploi, culture de consommation, innovation logistique et responsabilité sociale. Et dans ce contexte, la réussite ou l’échec de l’opération Casino au Maroc sera scrutée, non seulement par les économistes et les investisseurs, mais aussi par les citoyens, en quête d’un modèle de développement plus équitable.
