Banque en berne : quand plus de 15 millions de Marocains restent hors circuit
Banque en berne : quand plus de 15 millions de Marocains restent hors circuit

Ils utilisent WhatsApp, consultent TikTok, reçoivent des virements familiaux par cash, mais n’ont jamais franchi la porte d’une banque. Plus de 15,5 millions d’adultes marocains vivent sans compte bancaire, selon le dernier rapport Global Findex 2025 de la Banque mondiale. Un chiffre vertigineux qui soulève une question dérangeante : comment un pays aussi connecté peut-il encore compter une majorité de citoyens financièrement invisibles ?

Une fracture silencieuse dans un Maroc digitalisé

À l’ère des fintechs, des paiements sans contact et des applications de microcrédit, l’image du Maroc moderne semble se fissurer. Seulement 44 % des adultes marocains possèdent un compte bancaire ou mobile money. C’est bien loin des standards mondiaux (80 %), et même en deçà de la moyenne régionale de l’Afrique du Nord.

Ce paradoxe est d’autant plus saisissant que le Royaume ne manque ni d’institutions bancaires solides, ni de volonté politique. Microfinance, finance islamique, digitalisation des services, multiplication des agences… les efforts sont visibles. Pourtant, une large partie de la population reste à la marge.

Un écart qui dépasse les chiffres

Derrière cette statistique, des réalités multiples. Les femmes, les populations rurales, les jeunes sans emploi stable sont les plus exclus. Seulement 35 % des femmes marocaines détiennent un compte, contre 55 % des hommes. Et ce n’est pas faute de smartphones : 90 % des adultes possédaient un téléphone mobile en 2024, et 65 % utilisaient internet. Mais dans les faits, seuls 32 % des adultes ont utilisé un paiement numérique cette même année.

La technologie est là. Ce qui manque, c’est la confiance, la sensibilisation, l’accompagnement — et parfois simplement une carte d’identité à jour.

L’argent dort ailleurs

L’usage des services financiers reste limité : à peine 6 % des adultes marocains ont épargné via une institution formelle, et seulement 1 % ont contracté un crédit formel. Résultat : l’épargne circule en dehors des circuits bancaires, et les investissements productifs manquent de carburant.

Dans d’autres régions du monde, les progrès sont fulgurants. En Afrique subsaharienne, 35 % des adultes détiennent un compte d’épargne. En Inde ou au Brésil, des systèmes de paiements instantanés comme UPI ou PIX ont fait décoller l’usage bancaire. Le Maroc, lui, peine à faire décoller la fusée.

Des risques numériques sous-estimés

Autre enjeu, plus discret mais tout aussi crucial : la sécurité numérique. Selon la Banque mondiale, un tiers des Marocains ne protègent même pas leur téléphone par un mot de passe. Or, avec la montée des services financiers sur mobile, cette vulnérabilité devient un risque systémique.

Des milliards pour inverser la tendance

Entre 2019 et 2023, la Banque mondiale a mobilisé plus de 2 milliards de dollars pour accompagner les réformes marocaines en matière d’inclusion financière et numérique. Dernier en date : un prêt de 250 millions de dollars pour renforcer les filets sociaux et digitaliser les aides directes.

Mais l’argent, seul, ne suffit pas. Le défi est culturel, social et éducatif. Il faut repenser la relation entre les citoyens et les institutions financières, former, rassurer, simplifier. La confiance ne se décrète pas, elle se construit.

L’enjeu : bien plus que des comptes

Un compte bancaire, ce n’est pas qu’un outil financier. C’est une porte vers l’épargne, l’investissement, l’entrepreneuriat. C’est une manière d’exister économiquement. Ne pas en avoir, c’est souvent rester en marge, dans l’informel, dans l’insécurité.

L’enjeu n’est donc pas seulement statistique. Il est profondément humain. Car tant que des millions de Marocains resteront à l’écart du système, c’est toute une économie qui avancera à cloche-pied.

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