
Dans le silence stratégique qui précède les grandes mutations industrielles, un chantier d’envergure est sur le point de s’ouvrir au Maroc. La gigafactory de batteries électriques portée par le géant sino-européen Gotion High Tech, à proximité de Kénitra, amorce une nouvelle étape qui pourrait redessiner la carte énergétique du continent africain. Au-delà de la seule performance économique, ce projet symbolise l’entrée du Maroc dans une nouvelle ère industrielle, au croisement de l’électromobilité, de la souveraineté énergétique et des enjeux géopolitiques du XXIe siècle.
Une percée industrielle inédite en Afrique
L’annonce, faite par Khalid Qalam, directeur de Gotion Power Morocco, en marge d’une conférence industrielle à Rabat, marque le lancement imminent de la première gigafactory du continent africain. D’un coût global supérieur à 60 milliards de dirhams (6,5 milliards de dollars), l’usine se positionnera à terme comme un acteur stratégique dans la chaîne de valeur des batteries électriques, avec une capacité initiale de 20 GWh, extensible à 40 GWh dans une seconde phase.
Cette montée en puissance s’inscrit dans une dynamique mondiale où la production de batteries devient une arme économique, autant qu’un pilier de transition écologique. D’ici à 2026, la production devrait débuter, ciblant principalement le marché européen, en quête urgente d’alternatives aux chaînes d’approvisionnement asiatiques.
Le Maroc, nouveau hub de l’électromobilité
Ce projet ne doit rien au hasard. Il s’ancre dans une vision stratégique du Royaume, porté par un leadership politique clair en faveur de l’industrie verte. Le site de Kénitra n’a pas été choisi uniquement pour sa proximité logistique avec l’Europe, mais aussi pour son ancrage dans un écosystème industriel déjà bien établi, notamment dans le secteur automobile.
Gotion High Tech n’est pas un novice. Adossé à Volkswagen, le groupe entend faire du Maroc une base industrielle compétitive, dans un contexte où les tensions géopolitiques reconfigurent les flux mondiaux de production. Le Royaume, fort de ses accords de libre-échange avec l’Union européenne et les États-Unis, devient ainsi un territoire pivot pour une industrie à la recherche de stabilité, d’agilité et de proximité des marchés.
Un effet domino sur la souveraineté énergétique régionale
Plus qu’un projet d’usine, c’est une dynamique de relocalisation verte qui s’enclenche. L’usine de Kénitra produira également des composants stratégiques comme des cathodes et des anodes, aujourd’hui majoritairement importés d’Asie. En produisant localement ces éléments, Gotion contribue à réduire la dépendance technologique du continent africain tout en créant une nouvelle chaîne de compétences locales.
Ce projet pose aussi une question plus large : celle de la souveraineté énergétique du continent africain. Alors que les besoins en mobilité verte explosent, notamment en Europe, l’Afrique pourrait bien ne pas se contenter d’être une réserve de matières premières, mais devenir un acteur de transformation à part entière.
Enjeux environnementaux et sociaux : entre promesses et vigilance
La promesse est séduisante : des milliers d’emplois qualifiés, un positionnement technologique de pointe, et une insertion du Maroc dans les filières critiques de la transition énergétique mondiale. Toutefois, les défis ne manquent pas : la gestion de l’empreinte carbone, la disponibilité des ressources naturelles nécessaires à la fabrication des batteries (lithium, cobalt), et la montée en compétences d’une main-d’œuvre locale adaptée aux exigences de cette industrie.
Si les premiers contrats d’exportation vers des pays européens sont déjà signés, il faudra s’assurer que le développement de cette filière reste inclusif et respecte les normes environnementales internationales. La transparence dans le processus industriel, le respect des normes ESG (environnement, social, gouvernance) et l’intégration de la société civile dans la supervision du projet seront déterminants.
Un tournant pour l’avenir énergétique du Maroc
Avec cette gigafactory, le Maroc ne se contente plus de suivre le mouvement mondial de l’électrification : il entend y participer activement. Cette infrastructure ne sera pas seulement un pôle de production, mais aussi un vecteur d’innovation, un laboratoire industriel, et potentiellement, un centre de recherche régional en batteries et stockage d’énergie.
À l’heure où l’Europe cherche à sécuriser ses approvisionnements et où l’Afrique s’interroge sur sa place dans la transition énergétique mondiale, le projet Gotion High Tech apparaît comme un catalyseur d’ambitions croisées. Entre souveraineté, résilience industrielle et durabilité, il pourrait bien devenir le modèle d’un nouveau pacte industriel africain.