
Dans les laboratoires de procréation médicalement assistée, une révolution silencieuse est en marche. Derrière les parois vitrées des incubateurs et les microscopes des embryologistes, des algorithmes apprennent à voir ce que l’œil humain ne perçoit pas. Pour la première fois, des bébés sont nés grâce à des procédures de fécondation in vitro où l’intelligence artificielle a joué un rôle déterminant, marquant un tournant historique pour une technique longtemps jugée lourde, coûteuse et incertaine.
La FIV reste, pour de nombreux couples, un parcours éprouvant. Des semaines de traitements hormonaux, une surveillance médicale intense, une ponction ovarienne sous anesthésie, puis l’attente. Malgré tout, les chances de succès demeurent limitées : environ une implantation réussie sur deux, souvent après plusieurs tentatives. En quarante ans, la méthode a permis la naissance de près de dix millions d’enfants dans le monde, mais son efficacité plafonne, laissant nombre de patients face à l’échec et à la frustration.
C’est précisément dans ces zones d’incertitude que l’IA s’impose. Aux États-Unis, une équipe de l’université Columbia a récemment obtenu une grossesse après quinze tentatives infructueuses, grâce à un système expérimental baptisé STAR. Sa mission : identifier, au sein d’échantillons considérés comme quasiment stériles, des spermatozoïdes viables. Là où des techniciens chevronnés pouvaient chercher pendant des heures, voire des jours, sans résultat, l’algorithme analyse des millions d’images en un temps record. En quelques millisecondes, il distingue des cellules vivantes, mobiles et intactes, puis un robot les isole sans les endommager. Pour les spécialistes, cette capacité à dépasser les limites humaines ouvre de nouvelles perspectives, notamment dans les cas sévères d’infertilité masculine.
L’apport de l’IA ne s’arrête pas à la sélection du sperme. Une fois l’embryon formé, son évaluation demeure l’une des étapes les plus délicates de la FIV. Depuis des décennies, elle repose sur des critères visuels et une part de subjectivité. Or, des systèmes d’apprentissage automatique entraînés sur des centaines de milliers d’images embryonnaires sont désormais capables de classer leur qualité avec une précision comparable à celle des embryologistes. Des études récentes suggèrent même que l’IA pourrait prédire certaines anomalies chromosomiques à partir de simples images, sans recourir à des biopsies invasives, réduisant ainsi les risques pour l’embryon.
Au Mexique, une start-up spécialisée pousse encore plus loin l’automatisation. À l’aide d’un bras robotique guidé par l’IA, plus de deux cents micro-étapes de la FIV sont standardisées : manipulation des ovocytes, sélection du sperme optimal, fécondation et surveillance continue du développement embryonnaire. Les résultats revendiqués sont spectaculaires : plusieurs naissances ont déjà été enregistrées, dont la première en 2024, présentée comme une preuve tangible du potentiel de ces technologies.
Mais cet enthousiasme s’accompagne de mises en garde. Le cadre réglementaire, notamment aux États-Unis, reste lacunaire. En dehors de certains dispositifs médicaux soumis à l’approbation des autorités sanitaires, la majorité des innovations en FIV, y compris celles intégrant l’IA, évoluent dans un espace peu contrôlé. Des questions éthiques émergent : sécurité des données, biais algorithmiques, transparence des décisions prises par des modèles souvent perçus comme des « boîtes noires ».
Plusieurs chercheurs soulignent le risque de confusions ou de décisions erronées si les systèmes sont mal entraînés. Un algorithme pourrait, par exemple, associer la qualité d’un embryon à des facteurs secondaires – la luminosité d’une image, le type d’incubateur – sans lien réel avec sa viabilité. D’autres alertent sur la tentation de vendre des promesses de résultats garantis, alors que l’IA ne fournit, à ce stade, que des probabilités.
Dans ce contexte, un consensus se dessine parmi les experts : l’intelligence artificielle ne doit pas remplacer le jugement médical, mais l’éclairer. Utilisée avec prudence, transparence et supervision clinique, elle pourrait améliorer l’efficacité de la FIV, réduire les coûts et rendre la procédure plus accessible. Pour les couples confrontés à l’infertilité, l’IA n’est pas une solution miracle, mais elle incarne désormais un espoir concret : celui d’un avenir où la technologie et la médecine conjuguent leurs forces pour donner la vie, sans jamais se substituer à la responsabilité humaine.

















































