Un simple jean. Une pièce anodine de nos garde-robes. Pourtant, sa fabrication consomme jusqu’à 4 000 litres d’eau, soit l’équivalent de 50 baignoires. À l’échelle mondiale, l’industrie textile est l’une des plus voraces en eau, et l’une des plus polluantes. Mais une révolution est en cours : dans un monde confronté à une crise hydrique grandissante, notamment dans des pays comme le Maroc, la mode se voit contrainte de réinventer ses fondamentaux. Et la technologie pourrait bien être sa planche de salut.
Une urgence locale et globale
Le Maroc, deuxième exportateur africain de produits textiles, voit son secteur mis au défi par la raréfaction des ressources hydriques. Dans les bassins industriels de Casablanca, Fès ou Tanger, les besoins en eau pour la teinture, le lavage et le traitement des textiles entrent en conflit avec ceux de l’agriculture et des ménages. Le Haut-Commissariat au Plan alerte sur un stress hydrique critique d’ici 2030 si des changements structurels ne sont pas opérés.
Mais la situation est loin d’être isolée. Selon l’ONU, la mode consomme environ 93 milliards de mètres cubes d’eau par an. À elle seule, la culture du coton représente environ 2,5 % des terres cultivées dans le monde… et 16 % des pesticides utilisés.
Technologies disruptives : des réponses concrètes au gaspillage
Face à ces chiffres alarmants, des solutions existent déjà. Et elles passent par l’innovation technologique. L’impression numérique textile, à la pointe de cette révolution, permet de drastiquement réduire l’utilisation d’eau. Par exemple, l’imprimante Epson Monna Lisa ML-13000, déjà en test dans certains ateliers marocains, utilise des encres pigmentaires qui nécessitent peu, voire pas d’eau pour la fixation des couleurs. Résultat : jusqu’à 97 % d’eau économisée par rapport à l’impression traditionnelle.
« C’est une avancée majeure », affirme Réda Jai Hokimi, responsable Epson pour l’Afrique francophone. « Non seulement on économise de l’eau, mais on réduit aussi les invendus, grâce à une production à la demande. On imprime uniquement ce qui sera porté. »
Recycler plutôt que produire : la boucle vertueuse de la Dry Fiber Technology
Autre innovation à fort potentiel : la Dry Fiber Technology. Développée par Epson, cette technologie recycle mécaniquement les vêtements usagés et les chutes de tissu pour en faire une nouvelle matière non tissée, sans une goutte d’eau. Encore en phase de prototypage, elle a déjà attiré l’attention du styliste japonais Yuima Nakazato, qui l’a utilisée dans une collection présentée à Paris, conçue à partir de textiles récupérés en Afrique.
Un signal fort envoyé à une industrie qui jette près de 92 millions de tonnes de déchets textiles par an, dont seulement 1 % est recyclé dans un circuit fermé.
Le Maroc à la croisée des chemins
Le Royaume, fort de sa tradition textile et de ses zones industrielles bien établies, est en position stratégique pour devenir un acteur majeur de cette transition durable. Des partenariats public-privé commencent à émerger, soutenus par des programmes comme Maroc Vert ou Morocco Now, qui intègrent désormais des objectifs environnementaux. L’intégration de technologies propres dans les unités de production marocaines pourrait non seulement améliorer leur compétitivité à l’export, mais aussi répondre à une exigence croissante des consommateurs en matière de traçabilité et d’impact environnemental.
Vers une mode marocaine « zéro impact » ?
Des entreprises locales expérimentent déjà ces solutions. À Tanger, une startup textile a remplacé ses bains de teinture par des encres numériques à base aqueuse. À Fès, un atelier de couture artisanale a adopté des machines de coupe automatisée qui réduisent les déchets de tissu de 30 %. Si ces initiatives restent ponctuelles, elles dessinent un avenir possible pour une industrie moins gourmande et plus vertueuse.
Changer de regard, repenser la valeur
Il ne s’agit plus uniquement d’habiller, mais de produire sans nuire. Réduire le gaspillage d’eau dans la mode, ce n’est pas qu’une question de technologie : c’est une nouvelle manière de concevoir la chaîne de valeur, du champ de coton au cintre.
« Le jean parfait n’est plus seulement celui qui vous va bien », conclut Réda Jai Hokimi. « C’est celui qui a été pensé avec soin pour l’humain, la planète et l’avenir. »
Encadré – Ce que consomme un vêtement en eau
1 t-shirt en coton : ~2 700 litres
1 jean classique : ~4 000 litres
1 robe teinte industriellement : jusqu’à 7 000 litres
1 kg de coton brut : entre 7 000 et 29 000 litres