
Sous des airs d’évolution numérique, c’est en réalité une révolution silencieuse qui se profile au sein de l’Administration des Douanes et Impôts Indirects (ADII) du Maroc. En dévoilant son nouveau projet d’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans ses mécanismes de gestion des risques, l’ADII ne se contente pas d’un effet d’annonce technologique : elle redéfinit les fondements mêmes de la surveillance douanière dans un monde globalisé.
Une ambition à long terme adossée à des partenaires stratégiques
Derrière les discours officiels et les sourires protocolaires de la cérémonie de lancement, présidée par Abdellatif Amrani, Directeur général de l’ADII, se dessine une stratégie pragmatique et concertée, portée par des partenariats ciblés. L’appui de l’Organisation mondiale des douanes (OMD) et du Secrétariat d’État à l’Économie de la Confédération suisse (SECO) n’est pas anodin. Il marque l’ancrage international d’un projet marocain qui, sans renier sa souveraineté opérationnelle, s’aligne sur les meilleures pratiques globales.
Le projet s’inscrit dans le cadre du plan stratégique 2028 de l’ADII, un cadre de modernisation douanière centré sur l’efficacité, l’agilité et la transparence. Le recours à l’IA n’est donc pas une fin en soi, mais bien un levier pour repenser en profondeur le ciblage des flux, la détection des fraudes et l’optimisation des contrôles physiques.
L’intelligence artificielle : au-delà de l’automatisation, la prédiction
Le tournant technologique amorcé ne se limite pas à une simple digitalisation des procédures. Il s’agit d’exploiter le potentiel prédictif de l’IA à travers l’analyse des données massives issues du commerce extérieur. Grâce au machine learning et aux modèles de data mining, l’administration vise un filtrage plus précis des cargaisons à risque, tout en fluidifiant le passage des flux légitimes — un équilibre délicat mais essentiel.
En clair, les agents douaniers de demain pourraient ne plus être de simples exécutants procéduraux, mais des analystes de la donnée, capables d’interpréter des signaux faibles et de collaborer avec des systèmes intelligents. Le modèle pyramidal laisse ainsi place à une intelligence distribuée, où l’humain et la machine co-construisent la décision.
Une première mission technique à Rabat : entre audit et feuille de route
Du 19 au 23 mai 2025, une équipe d’experts internationaux mandatés par l’OMD s’est rendue au siège de l’ADII à Rabat pour évaluer les capacités actuelles de traitement de données. Loin d’être une formalité, cette mission a constitué un moment-clé d’audit et de calibration. Les conclusions de cette visite devraient alimenter un plan d’action opérationnel structuré autour de plusieurs axes : formation des agents, acquisition de nouvelles technologies, élaboration de standards éthiques de l’IA et révision des processus décisionnels.
Un symbole de confiance et de diplomatie économique
La présence remarquée de Valentin Zellweger, Ambassadeur de Suisse au Maroc, témoigne du caractère géopolitique croissant de l’intelligence artificielle. Au-delà des considérations techniques, le projet ADII-OMD-SECO s’affirme comme un instrument de soft power économique, où la maîtrise technologique devient une nouvelle frontière de souveraineté.
Pour le Maroc, il s’agit également de se positionner comme un hub africain de la douane intelligente, en cohérence avec sa stratégie continentale. Le message est clair : Rabat entend être à l’avant-garde des transformations numériques qui redéfinissent les normes de circulation des biens à l’échelle mondiale.
Un chantier complexe, mais porteur d’un nouveau modèle administratif
La prudence reste de mise. L’implémentation concrète de l’IA dans un univers aussi sensible que celui de la douane soulève des questions de gouvernance, d’éthique et de cybersécurité. La qualité des données, les risques de biais algorithmiques et la formation des ressources humaines sont autant de défis à relever. Mais si les ambitions sont tenues, l’ADII pourrait bien devenir un modèle de transformation numérique dans l’administration publique marocaine.