E-commerce au Maroc : entre ruée vers l’or numérique et serrage de vis réglementaire
E-commerce au Maroc : entre ruée vers l’or numérique et serrage de vis réglementaire

À première vue, cela ressemble à un simple clic. Une commande passée depuis le salon, une paire de baskets livrée à la porte, un paiement validé sur mobile. Mais derrière ce geste devenu quotidien pour des millions de Marocains, une transformation silencieuse est en marche. Et l’État, longtemps spectateur, commence à sortir de sa réserve.

Le commerce électronique marocain, c’est aujourd’hui un marché de 22 milliards de dirhams (2023), avec des taux de croissance à faire pâlir les secteurs traditionnels : +30% par an en moyenne sur cinq ans. Un dynamisme qui attire autant qu’il inquiète. Car si les chiffres s’envolent, les règles, elles, peinent encore à suivre.

Une jungle numérique qui se structure (enfin)

Depuis quelques mois, les autorités sortent l’artillerie réglementaire. La loi 95.15, la législation sur la cybersécurité, la refonte du Code de commerce et même une révision en profondeur de la loi sur la protection du consommateur : le message est clair, la fête ne pourra pas continuer sans encadrement.

Une cellule de surveillance du e-commerce, désormais active, a réalisé 200 contrôles en 2024. Résultat :

avertissements, procès-verbaux, et une vigilance accrue vis-à-vis des marketplaces et vendeurs fantômes.

L’objectif ? Protéger le consommateur, mais aussi crédibiliser un secteur en mutation, où les arnaques, les retards de livraison et les vendeurs volatils font encore trop souvent la une des réseaux sociaux.

Le digital ne dort jamais : l’État non plus

Le ministère de l’Industrie et du Commerce a lancé une série d’initiatives concrètes :

4.500 petits commerçants numérisés,

200 points de livraison de proximité ouverts,

et 161 startups soutenues via la plateforme Moroccan Retail Tech Builder (MRTB).

La convention d’avril 2025 entre ce ministère et celui de la Transition Numérique marque un tournant stratégique. Objectif : massifier les outils numériques, notamment à l’export, où le Maroc veut jouer bien au-delà de son marché domestique.

Le monopole du CMI enfin bousculé

Autre nouveauté majeure : l’ouverture du marché du paiement électronique. Depuis mai 2025, six nouveaux opérateurs ont reçu leur feu vert, dans un contexte tendu après une plainte de la société Naps contre le Centre monétique interbancaire (CMI). Le Conseil de la concurrence est intervenu, et les lignes ont bougé.

D’ici novembre, plus de 55.000 contrats commerçants et 65.000 TPE devraient migrer vers ces nouveaux acteurs. Une plateforme interopérable, construite avec Visa et Mastercard, est également en cours de finalisation.

Des géants en embuscade, des ambitions locales

Le secteur attire les titans. Alibaba a lancé sa propre plateforme fin 2024, adossée à Cainiao Smart Logistics Morocco, un centre logistique basé à Casablanca. Objectif : faire du Royaume une base arrière régionale pour le commerce B2B.

Dans le retail classique, Label’Vie et Marjane misent gros sur le digital :

Label’Vie : 152 millions de dirhams de CA en ligne en 2023,

Marjane : lancement de sa marketplace marjanemall avec plus de 700 vendeurs.

Mais derrière cette euphorie, le paiement en cash reste roi. Même en ligne, les Marocains préfèrent régler à la livraison. Une habitude ancrée dans une réalité : 54% de bancarisation, et un tissu économique où l’informel reste influent.

Une transition encore inachevée

Le Plan Maroc Digital 2025 mise sur la formation, l’infrastructure et l’accompagnement des PME pour enclencher une bascule vers une économie numérique inclusive. Mais les chiffres parlent d’eux-mêmes :

L’e-commerce ne pèse encore que 0,5% du PIB,

contre 3% dans la région MENA,

et 5% dans les économies matures.

Bank Al-Maghrib mène actuellement une étude sur les raisons profondes de l’attachement au cash. Pour son gouverneur, Abdellatif Jouahri, “il ne suffit pas d’importer des technologies. Il faut comprendre les usages, les peurs, les freins culturels.”

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